Ensemencement Disruptif

Propos d’artistes

La photographie représente la réalité telle qu’on la voit. Elle est une représentation du réel. On la connait à travers la photo documentaire, journalistique ou de carte postale. En ce sens elle peut être esthétique. Elle est par nature reproductible, et surtout elle nous montre en imitant le réel, bien plus précisément que nombre de peintures.

Dans notre travail artistique que nous préférons appeler notre recherche ou plus poétiquement notre quête, nous cherchons à sortir la photo de la mimésis. A déterritorialiser la photographie de son champ de représentation.

Une phrase leitmotiv qui caractérise cette quête se formule ainsi : « et si nos yeux n’avaient plus le monopole de la réalité ? »

C’est ainsi à partir d’une telle interrogation qu’on comprend le processus technique de notre démarche artistique. Processus inspiré par les origines de la photographie et basé sur deux paramètres en amont de la prise de vue, un long temps d’obturation et une chromie inverse.

En modifiant seulement deux paramètres dans l’appareil photographique, la captation devient une création à part entière. A partir de là l’artiste peut alors explorer et chercher toujours plus loin, des modes de représentation bien plus picturaux et éloignés des codes de la photographie.

Les stéréotypes visuels de reproduction à l’identique sont alors relégués aux activités connexes de la photographie, comme le documentaire, le journalisme, la photo de mode ou les souvenirs de vacances, de même que les photographies à thème où seule la pose définit l’univers artistique.

La photographie intensive, comme nous aimons nommer notre procédé technique, peut enfin s’appréhender comme un art, une création intégrale extraite du réel.

En ce sens elle nous semble poser là les éléments d’une disruption dans la pratique photographique. En mettant en déroute le système préétabli de nos perceptions visuelles par le truchement de l’appareil photographique, nous créons notre médium artistique, installé au sein de l’appareil mais non plus dépendant de son rôle premier mimétique, toujours ciblé à l’identique.

Mais la disruption n’est pas si flagrante, au premier aperçu, on peut être proche d’une photo floue, on peut s’apparenter à une peinture, une abstraction, d’aucuns diront c’est de la photographie plasticienne.

A l’évidence, c’est un premier pas de côté. On sème à petits grains quelque chose qui déroute. On ensemence peu à peu le spectateur d’un regard décalé, d’une vision pervertie. Mais dès l’origine, le processus technique utilisé a fait exploser le code consensuel de la tradition photographique.

C’est peut-être en ce sens que nous pratiquons en tant qu’artistes l’ensemencement disruptif. Car tout art au fond est un ensemencement disruptif. Il fait résistance avec l’époque et les traditions dans lesquelles il s’inscrit. De cette résistance active, peut naitre la disruption, bien qu’elle n’arrive pas d’un coup de massue, mais se fond discrètement dans la pensée, dans le cheminement sensible et artistique que peut emprunter le spectateur.

La notion d’ensemencement disruptif est pour nous un terme important pour préciser notre quête autant que notre parcours et notre sensibilité. Il y a une vigilance permanente à ce sujet, demeurer résistant dans notre art, mais sans l’afficher frontalement. L’ensemencement évite tout conflit, il ne s’affuble pas d’un combat frontal. Les rapports de force sont démantelés dès la base. Le travail se fait sur un autre plan, plus spirituel et surtout plus lent et en patience.