Espaces de Phase

Espaces de Phase

C’est Pierre Boulez le premier qui a développé un ensemble d’oppositions simples et de différences complexes entre espace lisse et espace strié. Au plus simple, Boulez dit que dans un espace-temps lisse on occupe sans compter, et que dans un espace-temps strié l’on compte pour occuper.
Gilles Deleuze et Félix Guattari développent ces concepts d’espaces lisse et strié, qui rendent sensible la différence entre les multiplicités métriques et non métriques. Ils expliquent ces différences en termes d’opposition. Les espaces lisses sont de l’ordre du directionnel, vectoriel, intensif et nécessitent une perception haptique alors que les espaces striés sont de l’ordre du dimensionnel, se perçoivent par une évaluation métrique et une vision optique. L’un parle de physique quantique quand l’autre parle de géométrie euclidienne. Les exemples les plus universels sont le désert ou l’océan pour les espaces lisses, et la ville et l’urbanisme pour les espaces striés.
Mais un espace n’est ni complètement lisse ni absolument strié, tel un plateau de jeu de Go où les pions noirs et blancs placés sur une grille striée ne cessent de se déborder, se contourner, s’éviter afin de lisser l’espace. La ville dans sa conception physique est toujours un espace strié : nom des rues, superficie des bâtiments, hauteurs des toitures, distances entre les édifices… La photographie ordinaire reproduit la réalité telle qu’elle se présente à nos yeux et nous montre surtout le côté strié de la ville, sans aucune altération de ses coordonnées. La photographie est elle-même un outil strié de représentation. Cependant la technique des photographies d’Audic Rizk nous permet de nous éloigner de ces conventions et nous laisse pénétrer dans le domaine lisse d’un regard ouvert sur une représentation intensive de la réalité.
Généralement seule la peinture permet de révéler le lisse dans le strié, mais ces clichés lissent la réalité des villes en leur conférant des valeurs non métriques, des formes encore non actualisées toujours en devenir, ouvertes aux mutations de l’aléatoire. Ces photographies sont le rendu lisse de la ville ordinairement striée, telle la vision d’un peintre dans sa démarche personnelle de représentation du monde.