Flagrances et Paréidolies
L’une dévisage quand l’autre envisage. Il est souvent question de visage, non loin de visée, puis de vision. Cela nous ramène peu à peu à la vue, à la prise de vue.
Dans nos photos, il n’y pas de reconnaissance immédiate, c’est ce qui perturbe au premier regard, qu’est-ce qu’une photo qui ne témoigne pas directement de ce qu’elle montre ?
Est-ce encore une photographie ?
Nous tentons d’appeler ce cheminement de la perception une vue haptique, pour la distancier de la vue optique que chacun comprend intuitivement comme la vision naturelle de l’œil. Nos photographies plus haptiques qu’optiques égarent le spectateur parce qu’elles demandent une attention de l’œil, du sens de la vue, afin de percevoir l’objet ou la scène du sujet photographié. Une lecture attentive, qui tâtonne afin de percevoir, qui cherche les distances et profondeurs, les volumes et les espaces, les pleins et les vides.
Il a suffi d’un temps d’obturation un peu long pour les lumières se mélangent et créent d’elles-mêmes une diversion de la réalité. Le haptique est ce mouvement dynamique de l’œil qui cherche à toucher pour mieux voir, à tâtonner l’espace pour en saisir les directions. Peu à peu l’œil va forger sa propre image révélant la scène réelle derrière le rendu artistique.
Ce mouvement fait écho à ces images qui nous apparaissent en une fulgurance, ces paréidolies que l’on perçoit dans les formes informes des nuages, dans les moirures des carrelages, dans les traces aléatoires d’un vieux mur décrépi.
La paréidolie est le processus mental qui consiste, face à des stimuli visuels ou auditifs, à tendre à reconnaître une forme familière dans un paysage, une fumée une tache d’encre…
Le mot est composé de la préposition para « à côté de, auprès de » suivie du nom eídôlon « simulacre, fantôme », diminutif de eîdos « apparence, forme ».
Nos photographies sont ainsi des paréidolies artistiques, non plus générées par notre processus mental mais déposées photographiquement sur papier, et il revient à chacun d’embarquer sur son œil haptique pour aller lire ces œuvres.
A l’opposé de cette conception visuelles, nous trouvons la flagrance, celle-ci décrit l’état, le caractère brulant de quelque chose, qui vient du latin flagare, bruler, flamboyer. Un état encore chaud brulant, pris sur le vif, comme témoigne encore l’expression de flagrant délit.
La flagrance s’impose donc d’elle-même, d’une évidence brulante sans nul ajournement possible. En même elle ne dure pas longtemps, comme les flammes vite soufflées. La flagrance rejoint ainsi une forme de reconnaissance fulgurante et fugace qui a valeur d’empreinte nette et précise de ce qu’est la chose présentée.
Cela étant, lorsque dans nos jeux de paréidolie tout d’un coup surgit l’image précise d’une forme familière, reconnaissable, n’est-elle pas exposée à la vue telle une flagrance, c’est cela qui saute aux yeux et nulle autre interprétation.
Ainsi flagrance et paréidolie, bien que fort éloignées dans leur façon de distinguer les choses, de les individualiser, sont concomitantes dans leur processus d’élaboration de la perception visuelle.
Et cette perception visuelle est de l’ordre du haptique, un va et vient de l’œil qui cherche à saisir l’essence de la scène peu à peu dans ses mouvements à tâtons, pour en extraire le sens.
La flagrance se situerait alors comme la forme d’où sourd le sens tandis que la paréidolie serait l’informe d’où sourd l’essence, mais au final, dans la contemplation artistique les deux se rejoignent sur cette ligne de crête qu’est le regard haptique.
