la machine ouverte

La Machine Ouverte

Sur la photographie intensive

Des Œuvres de Marey les plus surprenantes, on retient les chronophotographies sur plaque unique. Des photographies qui condensent sur une seule surface plusieurs temporalités. Celles-ci nous dévoilent un monde invisible, où la mesure, la captation et l’analyse cède une part de leur rigidité aux aspects plus intuitifs de l’expérience du mouvement. Ce sont les photographies les moins scientifiquement utilisables mais qui répondent le mieux à cette sensation exacte que l’on a lorsque nous nous trouvons face à la force intrinsèque à toute chose. Nous avons l’impression dans ces photographies d’avoir capté les intensités tapies sous les aspects et les formes, d’avoir rendu visible une zone indécise du temps, cette durée que l’on ne capte que quand le mouvement glisse dans l’intervalle.

C’est la caractéristique de la «machine ouverte» présentée par Gilbert Simondon que d’être «sensible» en admettant dans son fonctionnement une certaine marge d’indétermination lui permettant d’intégrer des fluctuations dues à l’interaction avec son extérieur. Les photographies présentées par Audic Rizk se basent sur cette ouverture vers l’occurrence des choses. Des clichés instantanés concentrant sur une surface, une durée plus ou moins dense par rapport à la vélocité des mouvements qu’elle capte. L’appareil capte en une seule image une variété de signaux lumineux, chacun avec sa propre intensité et son propre mouvement.  Sur un intervalle fixe de temps, des éléments hétérogènes cadrés par l’appareil s’épanouissent, s’individualisent. Quelques-uns peuvent arriver à saturation en marquant des tâches noires. D’autres plus lents dans leur individuation révèlent leurs tonalités intrinsèques à travers des couleurs toujours éblouissantes. Il semblerait que le processus d’individuation photographique transcrit celui de la vie avec une amorce hésitante qui se précise avec le temps et mûrit en offrant son visage le plus flamboyant avant de s’éteindre sous un voile sombre de noirceur.

C’est en faisant traîner l’instantané que nous découvrons dans ces clichés les différentes durées et leurs séries d’états variés se succédant pendant le temps de pose. Les photographies de Audic Rizk suivent le chemin de la méthode graphique en l’enrichissant avec des temporalités multiples se mêlant dans la scène urbaine captée. Marey, en brûlant un fil de magnésium pendant une ou deux secondes obtient des images intenses et à contours peu nets. Il élabore avec sa photographie expérimentale une méthode de captation des ondulations, secousses, tressaillements, frémissements produits par le mouvement d’un élément par rapport à un autre. Les clichés d’Audic Rizk poursuivent cette technique en l’appliquant à un sujet des plus complexes : la ville. C’est sous une multiplicité de paramètres que ces photographies intensives enregistrent le mouvement en présentant une toile foisonnant de différences de températures, de textures, de pressions et d’accélérations. Les intensités invisibles de la ville s’actualisent sur la surface photographique dévoilant un fond virtuel insoupçonnable. Des durées variables se chevauchent sur un même support et des formes « inventées » s’individualisent sous notre regard amplifié. C’est à cet élargissement de la perception dont parle Bergson que nous invitent ces photographies proposées par ces artistes, phénoménologues des choses inaperçues.