L’Ombre Lumineuse
Pourquoi les occidentaux n’ont-ils jamais porté d’attention à l’ombre comme les japonais ?
En 1933 Junichiro Tanizaki écrivait « éloge de l’ombre », présentant ce paradoxe culturel entre l’Europe et le Japon. Les japonais sont naturellement tournés à apprécier cette ombre comme source de beauté, d’esthétisme. L’ombre peut devenir l’ancre d’une maison. L’ombre attire, elle signifie refuge, profondeur, intériorité, caché. Elle signe une élégance.
L’Europe et l’Occident voient surtout l’ombre comme absence de lumière et considère la lumière comme la première nécessité d’une maison agréable. L’ombre semble plutôt à bannir, il faut surtout illuminer, tout voir et ne rien laisser dans l’obscur.
Dans le travail artistique d’Audic-Rizk, par le truchement du négatif photographique l’ombre devient lumineuse, c’est-à-dire source de lumière. Sans chercher à la faire disparaitre, elle se transmute, par l’alchimie du négatif en lumière radieuse.
Quelle alchimie peut donc transformer la ténèbre en lumière. Or la ténèbre n’est en soi qu’une absence de lumière. Cette transformation peut-elle s’apparenter alors à une création ?
Une absence devient présence. Rendre présent la lumière là où elle n’était point.
On en revient à ces paroles originelles, « et la lumière fut ».
On en revient en quelque sorte à la création du monde.
Mais une création très occidentale, car du côté de l’Asie, au Japon là où Tanizaki rédige « éloge de l’ombre », la création ex-nihilo n’est point pensée de la sorte.
En Asie, il n’y a pas véritablement de création, tout n‘est que procès créatif, dans le sens de processus alternant entre deux pôles. Yin et Yang. Peut-être est-ce pour cela que l’ombre n’est point relayée comme défaut de lumière, mais comme une partie de la nature de la lumière, son côté yin, son côté obscur. L’alternance incessante du procès créatif rend donc l’ombre aussi bienveillante que la lumière.
Chez les artistes Audic-Rizk, le renversement ombre lumière n’est pas embarqué dans le procès bipolaire, cependant la roue est tournée, les notions inversées. Le regard est confondu, l’alchimie prend vie. Comment penser la lumière si ce n’est en renversant le cadre, en regardant autrement.
Cependant considérant l’ombre devenue lumière, la nature nous offre une pirouette très proche suivant le principe de l’interférence. Principe pensé et développé par Thomas Young qui nous apprend que la lumière, dans un milieu matériel transparent, peut interférer destructivement. Cela signifie que lumière + lumière = obscurité. Par conséquent une ombre visible peut être issue de l’émission de plusieurs rayons lumineux se superposant selon des interférences destructives. C’est la nature ondulatoire de la lumière qui rend possible ce jeu interférentiel.
En usant du négatif, les artistes retrouvent le même état de fait, bien que la manœuvre soit en tout point différente.
Dans le cas des photographies d’Audic-Rizk, les artistes ont choisi comme mission de rendre l’ombre lumineuse, renverser les valeurs usuelles et culturelles, penser en dehors des murs. Ce choix du négatif, bien qu’inspiré par les origines de la photographie, renvoie le spectateur à bousculer ses habitudes perceptives, à se questionner sur le sens de certaines valeurs semble-t-il immuables.
En considérant l’art comme un moyen de regarder autrement le monde, un moyen de transcender l’humain, on peut découvrir qu’il nous est à tous possible de rendre l’ombre lumineuse, par un chemin intérieur spirituel, tourné vers l’amour, nous sommes tous capables de percevoir l’ombre comme une vraie source de lumière.