Temps d’Obturation

Des temps d’obturation aux découvertes astronomiques
photographier l’invisible

Dans « Le Roman du Big Bang » de Simon SINGH, narrant les découvertes de l’astronomie au fil des siècles, nous apprenons une page essentielle de l’histoire de la photographie. Encore à ses débuts, celle-ci a pu rendre des services considérables à la découverte scientifique, en sappuyant notamment sur un fait essentiel, sa capacité d’obturation de la lumière sur des temps de pause plus ou moins longs. Cette particularité que ne possède pas l’œil humain lui a fourni la sensibilité à détecter des objets jusque-là invisibles.

Si un télescope est pointé en direction d’un objet très éloigné, la lumière qui atteint l’œil humain à travers le télescope est parfois trop faible pour être perçue. Si, cependant, l’œil est remplacé par une plaque photographique, celle-ci peut être exposée pendant plusieurs minutes, voire plusieurs heures, capturant de plus en plus de lumière sur la durée, on dira ainsi que son temps d’obturation est long. L’œil humain absorbe la lumière, la traite et s’en débarrasse en un instant, pour ensuite recommencer à zéro, alors que la plaque photographique ne cesse d’accumuler la lumière, constituant une image qui gagne en substance au fil des minutes. En bref, l’œil a une sensibilité limitée, un télescope doté dune large ouverture peut amplifier cette sensibilité, et ce même télescope couplé avec une plaque photographique est encore plus sensible. Par exemple, l’amas d’étoiles des pléiades (ou Sept Sœurs) contient sept étoiles visibles à l’œil nu, mais Galilée avec son télescope pouvait en voir quarante-sept dans cette région. A la fin des années 1880, deux astronomes français, les frères Prosper et Paul Henry, prirent une photographie à longue exposition de cette partie du ciel et comptèrent jusqu’à 2326 étoiles.

Cette propension de la photographie à détecter des objets invisibles à l’œil nu est due à sa capacité d’obturation, et c’est précisément de cette possibilité que jouent Julie Audic et Christian Rizk lorsqu’ils abordent la représentation d’un sujet au travers de leurs photographies. Leurs œuvres ne sont pas vouées à une recherche scientifique ou astronomique, néanmoins leur approche sensible du temps d’obturation, de la lumière et de ses flux graphiques se projetant sur le papier photosensible dénote la part heuristique de leur travail. Comme tout artiste, ils cherchent à montrer l’invisible, ou plutôt les forces invisibles qui nous traversent au quotidien ; alors qu’un œil inaverti verrait autour de soi les bâtiments, arbres et autres objets de son décor, leurs photographies nous révèlent une foisonnante mixture de lumières aux tonalités irisées, traduisant les mille flux et courants de vélocité, de densité, de pression, de mouvement que peut contenir une simple prise de vue.

Les longues expositions des plaques photographiques de la fin du XIX siècle n’ont pas encore fini de nous étonner. De cette époque où l’inventeur et astronome Sir John Herschel (1792-1871) créa les mots : photographie, cliché et négatif, la photographie peut encore nous révéler l’invisible comme nous le montrent bien les clichés de Audic Rizk.